

Et si le vrai pouvoir politique était désormais dans les mains des patrons ?
La communication comme nouveau levier de pouvoir
Là où les politiques sont perçus comme désincarnés, peu efficaces, voire prisonniers de logiques partisanes, les dirigeants d’entreprise bénéficient d’une image plus opérationnelle, crédible, et surtout : utile. Cette utilité, d’abord perçue dans l’action, et désormais dans la parole, crée un nouvel espace d’autorité symbolique.
Aujourd’hui, ce sont eux qui s’expriment sur l’intelligence artificielle, la transition écologique, la transformation du travail, le logement, l’éducation ou encore la santé mentale. Leur parole porte parce qu’ils sont au contact direct de la réalité économique, confrontés chaque jour aux défis concrets du terrain. Là où la parole politique s’essouffle, la parole entrepreneuriale résonne, car elle est souvent accompagnée d’actions concrètes, de preuves tangibles ou de stratégies visibles.
Il ne s’agit pas de dire que les politiques ne sont plus utiles ; il s’agit de constater que dans l’imaginaire collectif, le pouvoir s’est déplacé : il est passé du registre institutionnel au registre économique, et de la légitimité électorale à la légitimité entrepreneuriale. Ce n’est pas tant que les Français adorent les entreprises : ils ne leur font pas confiance de façon aveugle, et les grandes structures restent l’objet de critiques régulières. Mais leur capital réputationnel s’avère aujourd’hui plus actif et résilient, et surtout plus tangible, que celui des responsables politiques.
La réputation, nouveau capital politique et économique
Ce basculement révèle une mutation profonde de notre époque. La réputation n’est plus un simple nice to have communicationnel : elle est devenue un véritable levier de transformation économique et politique de nos sociétés.
Les dirigeants sont attendus comme des figures d’influence sociétale, au-delà de leur seul périmètre économique. Certains s’impliquent sur les sujets d’égalité, de diversité, d’ancrage territorial ou de transition énergétique. Le dirigeant devient « opinion maker » en réussissant à transformer sa réputation en véritable pouvoir d’influence sociétale. Parce que les Français sont en quête de paroles fortes, incarnées, et que le pouvoir d’influence ne tolère plus le vide. Lorsque Xavier Niel lance l’Ecole 42 ou investit dans la formation, il ne le fait pas par philanthropie : il définit l’agenda éducatif français avec une légitimité que lui envient bon nombre de politiques ; lorsque le fondateur de Patagonia, Yvon Chouinard, dédie l’intégralité de son entreprise à la lutte contre le changement climatique, cette décision radicale transforme chacune de ses prises de parole sur sa contribution environnementale en parole d’autorité incontestable. Sa réputation devient un actif politique qui influence directement les débats sur la responsabilité des entreprises.
Mais cette transformation ne s’improvise pas. Construire ou développer sa réputation nécessite une approche stratégique de communication à la croisée de différentes expertises : territoire d’influence, construction narrative, stratégie multi-canal...
Le dirigeant d'entreprise est aujourd'hui un acteur influent de l'espace public : il prend position sur les réseaux, dans les journaux, sur les plateaux télé, dans des podcasts ou dans des tribunes. D'autant que les réseaux sociaux ont révolutionné la prise de parole des dirigeants : parmi les grands patrons du CAC 40, 30 sont actifs sur LinkedIn. Désormais le dirigeant adapte ses formats, ses récits, ses canaux. Il raconte sa stratégie autant qu'il justifie ses choix. Il engage sa marque employeur comme sa marque personnelle. Bref, il fait une action politique… sans en avoir la fonction et il a raison !
La réputation est un capital stratégique. Elle ne se construit plus seulement à travers les résultats économiques, mais à travers une parole alignée, cohérente, et une posture assumée dans la sphère publique. C’est ce qui permet à certains dirigeants de passer du statut de chef d’entreprise à celui d’acteur de la conversation nationale. Leurs propos ne sont plus uniquement perçus comme des prises de position sectorielles, mais comme des réponses possibles aux fractures contemporaines.
Cette réputation est double : elle engage à la fois l’individu et la marque qu’il porte. Un dirigeant qui prend la parole engage nécessairement son entreprise, sa culture interne, ses engagements RSE, sa vision stratégique. Le public ne dissocie plus l’image du CEO de celle de l’organisation. La parole est vue comme l’expression d’une ligne, d’un alignement entre valeurs et actes. Ou, en cas de dissonance, comme un révélateur d’incohérence. Dans un paysage saturé de discours, c’est donc la capacité à incarner une parole sincère, forte et orientée vers l’action qui distingue le dirigeant écouté du dirigeant isolé. Là où la communication politique souffre d’une perte de sens et d’une crise d’autorité, la communication des dirigeants bénéficie d’un terrain à occuper, à condition d’être exigeante, authentique, constante...et maîtrisée.
Car à l’heure où la réputation devient pouvoir, le dirigeant d’entreprise n’est plus seulement un chef d’orchestre stratégique : il est un communicant - éminemment - politique.
Peter Even
Head of Réputation de l’agence Monet (Groupe Ceetadel)